Rubbiatron

Le 24 novembre 1993, alors qu’il est encore Directeur général du CERN, le physicien des particules Carlo Rubbia crée un précédent extraordinaire bousculant toutes les traditions scientifiques : Usant du prestige de son prix Nobel il s’adresse directement à la presse et au grand public pour annoncer que lui — tout seul — aurait trouvé une solution radicale et définitive à tous les problèmes de l’énergie nucléaire. Devant plusieurs chaînes de télévision et des dizaines de journalistes ébahis, il expliqua que sa technique (qu’il vient de breveter) produit une énergie nucléaire sûre, sans déchets radioactifs, et sans risques de prolifération des armes nucléaires. […]

Une étape importante pour le rubbiatron fut une audition ouverte à la presse de l’Office parlementaire pour l’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Présidée par Claude Birraux, cette audition du 21 novembre 1995 rappela les avantages théoriques du concept, développa les critiques faites depuis 1993, et mis l’accent sur les problèmes de sécurité et les liens avec la prolifération des armes nucléaires. En usant de certaines astuces élémentaires, par exemple en irradiant un échantillon d’uranium enrichi, on peut facilement décupler la production neutronique d’un petit accélérateur, et de la sorte transformer 1 kg d’U-235 en 10 kg de plutonium.

Aujourd’hui, à l’exception du projet de démonstration sponsorisé par ANSALDO Nucleare et quelques expériences au réacteur de recherche TRIGA en Italie, ainsi qu’une ou deux études théoriques financées par la Commission Européenne, on peut dire que l’amplificateur d’énergie est mort.

En ce qui concerne la sécurité, la discussion abonda sur un des points faibles du rubbiatron : L’interface entre l’accélérateur et le réacteur, c’est-à-dire la fenêtre de tungstène qui sépare le vide du plomb fondu. En particulier, des calculs détaillés effectués par Jacques Maillard et son étudiante de thèse Fabienne Bacha montraient qu’une telle fenêtre pouvait se rompre au bout de quelques heures en raison de l’intense bombardement par les protons accélérés. Il fallu attendre la première expérience tant soit peu réaliste, l’expérience LISOR au Paul Scherrer Institut (PSI) près de Zurich, pour vérifier que leur prédiction était correcte. Le 5 juillet 2002, après 36 heures d’irradiation à pleine puissance, la fenêtre se fendit, et un jet de plomb-bismuth fondu légèrement radioactif arrosa l’appareillage. Les scientifiques et la direction du PSI essayèrent de garder le silence sur cet « incident, » et il a fallu mon intervention personnelle pour que certains détails techniques soient publiés en janvier 2003.

C’est ainsi que l’audience fut étonnée de constater à quel point Carlo Rubbia était « naïf » sur les risques de détournements à fins militaires de son système, alors qu’il est facile de vérifier qu’un simple accélérateur de production d’isotopes médicaux peut être utilisé pour fabriquer des quantités non négligeables de plutonium ou du tritium. De plus, en usant de certaines astuces élémentaires, par exemple en irradiant un échantillon d’uranium enrichi, on peut facilement décupler la production neutronique d’un petit accélérateur, et de la sorte transformer 1 kg d’U-235 en 10 kg de plutonium

Andre Gsponer, La Gazette Nucléaire, No. 209/210, novembre 2003.

http://archivesgamma.fr/1993/11/29/rubbiatron