La tempête solaire de 1859, également connue sous le nom d’événement de Carrington — du nom de l’astronome anglais Richard Carrington qui l’étudia — désigne une série d’éruptions solaires ayant eu lieu à la fin de l’été 1859 et ayant notablement affecté la Terre. Elle frappe la Terre avec une telle intensité que les télégraphes projettent des étincelles. Elle produit de très nombreuses aurores polaires visibles jusque dans certaines régions tropicales et a fortement perturbé les télécommunications par télégraphe électrique. Elle est considérée comme la plus violente tempête solaire enregistrée ayant frappé la Terre. En 1859, une En 2012, une tempête solaire équivalente a manqué d’un rien la planète bleue. Que se passerait-il si un tel événement survenait au XXIe siècle ?
1er septembre 1859. A Cuba, dans les Bahamas ou à Hawaï, des aurores boréales emplissent le ciel nocturne. Elles sont si intenses que les témoins de ces phénomènes jamais vus à de telles latitudes peuvent lire un journal sous leur étrange lumière. Plus étrange encore, des étincelles se mettent à jaillir des télégraphes, mettant le feu au papier. Même à l’arrêt, l’intensité du courant dans les lignes électriques est telle que les appareils continuent de fonctionner.
Quelques heures auparavant, Richard Carrington pointait son télescope vers le soleil et observait un énorme groupe de tâches solaires, avant que deux perles brillantes de lumières aveuglantes n’apparaissent au-dessus de ces dernières, puis disparaissent. Il venait d’être témoin de la première tempête solaire observée par l’homme… et la plus violente à ce jour.
“Il faut savoir qu’à l’époque, nous n’avions pas de mesures du champ magnétique au niveau du soleil, rappelle Miho Janvier, chercheuse en astrophysique à l’Institut d’astrophysique spatiale (IAS – Université Paris-Saclay, CNRS), spécialiste de physique du Soleil et du milieu interplanétaire. C’est la première fois qu’un tel événement a été rapporté, et où l’embrillancement, le flash lumineux, a été vu dans ce qu’on appelle le domaine de la lumière visible. Il s’est accompagné d’une tempête géomagnétique, et il a bien fallu faire la connexion entre quelque chose qui est parti du Soleil et qui est arrivé jusqu’à la Terre. C’est l’une des premières fois que ce lien a été fait.”
Mais comment fonctionnent ces tempêtes magnétiques ? Et près de 150 ans plus tard, quelles seraient les conséquences si l’une d’entre elles, de la même puissance que celle observée par Carrington, venait frapper la planète bleue ?
“C’est un peu comme si je vous décrivais une éruption volcanique : on aurait de la lave, des cendres, un tremblement de terre, précise Miho Janvier. De la même façon, il y a plusieurs phénomènes qui accompagnent une éruption solaire”. Lorsqu’une éruption solaire survient, elle éjecte des milliards de tonnes de particules à travers l’espace. “L’énergie magnétique est emmagasinée dans l’atmosphère du Soleil, qu’on appelle la couronne solaire. Dans certains cas, on va avoir une reconfiguration du champ magnétique et une sorte de grosse bulle magnétique va s’échapper du soleil. C’est ça qu’on appelle une tempête solaire”. Ces éruptions solaires vont s’élever à des centaines de milliers de kilomètres d’altitude et projeter dans le vide interstellaire des particules énergétiques.
“Il faut s’imaginer qu’à chaque instant, nous baignons en quelque sorte dans une soupe de particules qui s’échappent du soleil, qu’on appelle les vents solaires, poursuit l’astrophysicienne. Ces particules énergétiques « éjectées » en permanence du soleil vont circuler dans le milieu interplanétaire, le long des lignes de champ magnétique du soleil. “C’est très très rapide, on a des particules qui sont très légères, qui ont énormément d’énergie et se propagent pratiquement à la vitesse de la lumière, qui vont mettre 8 minutes pour arriver jusqu’à la Terre.”
Les tempêtes solaires, en revanche, envoient bien plus de matière que les vents solaires. “Je parlais d’une grosse bulle magnétique : eh bien quand on va avoir cette éruption, cette bulle va être éjectée dans le milieu interplanétaire. Là, en revanche, comme c’est un gros nuage de matière du soleil, c’est relativement rapide mais ce n’est pas à la vitesse de la lumière. Il va mettre quelques heures pour les plus rapides, mais généralement il lui faut quelque jour pour atteindre la Terre”. Encore faut-il que la Terre soit sur le chemin, car contrairement aux vents solaires qui suivent les lignes des champs magnétiques, ces éjections de masse coronale comme les appellent les scientifiques se déplacent en ligne droite.
Quand ces tempêtes solaires atteignent la terre, elles provoquent ce que l’on appelle des orages magnétiques, en interagissant avec le champ magnétique terrestre :
La Terre est protégée par un champ magnétique qu’on appelle la magnétosphère. Et cette magnétosphère va résonner. C’est comme si on frappait sur une sorte de cloche et qu’elle commençait à vibrer. De la même manière, quand une tempête solaire arrive jusqu’à la Terre, elle va faire vibrer cette sorte de bulle magnétique de la Terre, ce qui va créer ce qu’on appelle des orages géomagnétiques. C’est d’ailleurs à cause de ces fluctuations-là que l’on va voir, notamment, des aurores boréales. Toutes les tempêtes solaires n’ont pas la même incidence sur la magnétosphère terrestre, et des vents solaires rapides peuvent aussi suffire à déclencher des orages géomagnétiques.
La magnificence des aurores boréales n’est cependant pas la seule conséquence de tempêtes et vents solaires. “Les particules énergétiques peuvent impacter, par exemple, les circuits électroniques des satellites, rappelle Miho Janvier. Même si les systèmes satellitaires sont construits pour y résister, car ils sont constamment bombardés de rayons cosmiques et de particules énergétiques qui proviennent de partout dans la galaxie. Mais plus on est haut, moins il y a d’atmosphère, et donc moins on est protégé”.
Si les satellites sont conçus pour résister à ces tempêtes magnétiques, il est fréquent, dans certaines conditions, de perdre le contact avec certains d’entre eux le temps de quelques heures.
“Il faut savoir aussi que lorsque l’on a cette pluie de particules énergétiques, une couche de l’atmosphère terrestre qu’on appelle l’ionosphère, qu’on utilise notamment pour la propagation des ondes radios, va changer. Cela peut entraîner un blackout, une sorte de rupture des transmissions des signaux en ondes radios”. De fait, pendant une tempête solaire, les radios amateurs deviennent souvent inutilisables ainsi que les fréquences utilisées pour la sécurité ou pour les secours.
Dans un article paru en juillet 2018, le journal EOS rapportait ainsi que durant Irma, l’ouragan de force 5 qui avait frappé les caraïbes le 6 septembre 2017 :
Les opérateurs de radio amateur assistant aux communications d’urgence dans les îles avaient signalé à Hurricane Watch Net que les communications radio avaient été interrompues pendant la majeure partie de la matinée et en début d’après-midi en raison de l’activité du Soleil. L’aviation civile française a signalé une perte de communication de 90 minutes avec un avion cargo et la NOAA a signalé le 14 septembre que la radio haute fréquence, utilisée par l’aviation, la marine, la radio amateur et d’autres bandes d’urgence, n’était pas disponible pendant près de huit heures le 6 septembre.
En changeant, l’ionosphère ne se contente pas d’entraîner un blackout radio, elle devient aussi “plus dense », raconte l’astrophysicienne :
L’ionosphère est vraiment une surface, une sorte de volume autour de la Terre. Et comme on a plus de densité en face, on a plus d’effet de frottement sur les satellites. Ces effets de frottement peuvent les amener à perdre leur orbite, à perdre leur altitude. C’est plutôt bien monitoré, et on sait très bien que quand il y a une tempête géomagnétique, il faut réajuster les orbites de ces appareils. Mais il est déjà arrivé, dans l’histoire du management de l’environnement spatial terrestre, de perdre des satellites en orbite à cause de ces effets-là.
Si le fonctionnement des satellites prend en compte ces risques fréquents, les structures sur Terre ne sont pas aussi bien équipées. Que se passerait-il si une tempête solaire du même ordre de puissance que celle qui a frappé la Terre en 1859 survenait à notre époque, où les réseaux électriques sont indispensables à nos modes de vie ?
En mars 1989, le Québec a eu un bref aperçu de cette possibilité. Une tempête solaire pourtant bien moins puissante est venue percuter de plein fouet la magnétosphère terrestre. Si des Texans ont eu le plaisir de voir des aurores boréales, quelque 6 millions de Québécois ont quant à eux été privés de courant pendant neuf heures. Les transformateurs électriques de la compagnie en charge du réseau électrique, Hydro-Québec, ont grillé suite à une surtension : en moins de 90 secondes, le réseau électrique s’est totalement effondré. Les dégâts, matériels et économiques, avaient alors été chiffrés à près de 2 milliards de dollars.
“Les réseaux électriques sont plus ou moins résilients suivant les pays, temporise l’astrophysicienne Miho Janvier. Quand on parle de surtension et quand on parle de ces transformateurs qui vont être endommagés, ça reste à un niveau local. Quand toute la région de Québec a été touchée, si tout ce réseau-là avait été connecté à d’autres parties du Canada, peut-être que tout le réseau aurait été impacté… Il faut rappeler que ce ne sont pas tous les réseaux électriques qui sont touchés, mais généralement ce sont ceux qui sont proches des pôles, par exemple en Suède, au Québec, en Russie, etc.”
En 2009, un rapport de la NASA estimait cependant que “l’interconnectivité du réseau électrique des États-Unis” les rendait “plus vulnérables que jamais” à ce genre de catastrophe naturelle. “Une répétition contemporaine de l’événement Carrington causerait de vastes perturbations sociales et économiques », alertait le rapport, chiffrant à l’époque le coût d’un tel événement à 2 000 milliards de dollars… Le système GPS pourrait être sérieusement atteint par un événement d’une telle ampleur, mais surtout une avalanche de blackouts successifs, transmis par des lignes électriques longues distances, pourrait durer des semaines, voire des mois, le temps que soient réparés les réseaux électriques.
Le rapport prend une autre dimension lorsque l’on sait qu’en 2012, la Terre n’est pas passé loin d’une tempête solaire équivalente à celle de Carrington, en 1859. A une semaine près, la planète bleue aurait été frappée de plein fouet non pas par une mais plusieurs éruptions solaires successives. Les premières auraient ainsi pavé la voie pour les suivantes, et amplifié leur impact en « nettoyant » le chemin. C’est d’ailleurs, de l’avis des spécialistes, probablement ce qui s’était déjà passé en 1859. “Les analystes pensent qu’une frappe directe par une éjection de masse coronale extrême comme celle qui a raté la Terre en juillet 2012 pourrait provoquer des pannes de courant généralisées, désactivant tout ce qui est branché à une prise murale”, assurait un communiqué de la NASA publié en 2014. Nasa
En février 2014, le physicien Pete Riley a estimé, dans un article intitulé Sur la probabilité d’occurrence d’événements météorologiques spatiaux extrêmes, qu’il existait 12 % de chance que la Terre soit frappée par une tempête solaire du même niveau que celle de Carrington dans les 10 années à venir. Début 2020, le Soleil a entamé un nouveau cycle de 11 ans et les scientifiques ont encore du mal à estimer si ce dernier sera plus intense ou plus faible que le cycle précédent, c’est-à-dire marqué par plus ou moins d’éruptions solaires.
« Je pense quand même que nous sommes des sociétés résilientes, assure Miho Janvier, qui ne se veut pas alarmiste. On a des technologies qui sont résilientes, et je ne pense pas qu’une tempête solaire serait un scénario catastrophe en soi. En fait, le risque que je vois est plutôt une multitude d’événements, une accumulation de choses totalement gérables indépendamment mais qui pourraient devenir ingérables. Ce n’est pas tant le fait d’avoir une tempête solaire que de savoir si elle arriverait à un moment dans l’histoire où elle pourrait s’additionner à un autre problème, tel que l’ouragan Irma… ou une pandémie. »
Conséquences
On estime que 5 % de l’ozone stratosphérique fut détruit lors de la tempête, ozone qui mit plusieurs années à se reformer dans la haute atmosphère. La température très intense de l’éruption (50 millions de degrés à sa naissance) permit d’accélérer les protons issus du Soleil à des énergies dépassant les 30 MeV, voire 1 GeV selon certains. De tels protons énergétiques furent en mesure d’interagir par interaction forte avec des atomes d’azote et d’oxygène de la haute atmosphère terrestre qui libérèrent des neutrons et furent également à l’origine de la formation de nitrates. Une partie de ces nitrates se précipita ensuite et atteignit la surface terrestre. Ils furent mis en évidence par des carottages glaciaires effectués au Groenland et en Antarctique révélant que leur abondance correspondait à celle ordinairement formée en 40 ans par le vent solaire.