Le prototype, dénommé « Duga » (sans suffixe numérique et au nom de code 5H77) a été implanté dès 1970 ; il est composé d’un émetteur et d’un récepteur, séparés d’une distance de 30 kilomètres, près des villages de Luch et Kaynivka. Le deuxième radar, le plus important, dénommé « Duga-1 » (nom de code 5H32-Ouest), a été implanté durant les années 70 ; il est composé de deux émetteurs installés à Liubech, et de deux récepteurs installés à Tchernobyl-2. C’est le plus connu des trois, en raison de l’implantation de ses récepteurs dans la zone d’exclusion de Tchernobyl
Douga était un projet top secret, et pratiquement personne ne connaissait l’origine des sons qu’il émettait. Sergueï Babakov, un historien du musée de Tchernobyl à Kiev, rappelle que même certains officiers soviétiques n’avaient aucune idée de la raison pour laquelle le complexe avait été construit et que certaines personnes pensaient que c’était une arme visant à détruire l’ennemi au moyen d’une impulsion électrique. Le radar envoyait ses impulsions une dizaine de fois par seconde et, à partir de 1976 (alors que les deux complexes fonctionnaient en mode de test), ce signal a commencé à apparaître dans les ondes radio de nombreux pays. Il a été rapidement établi que la source était située sur le territoire de l’URSS. Le son étant similaire à des coups rythmiques, Douga a donc été surnommé le « pic russe ». Aucune des méthodes connues n’a permis de protéger les ondes de ce bruit spécifique, car le radar changeait parfois de fréquence et de tonalité ; il commençait à inquiéter les gens, de sorte que plusieurs pays comme la Norvège, la Suède, la Suisse, entre autres, ont protesté auprès de l’URSS, l’accusant d’avoir enfreint une convention internationale d’attribution des fréquences radio.
L’administration de l’URSS a décidé de garder le secret et d’ajouter simplement une fonction de suppression du bruit dans le programme de modernisation de Douga. Il comprenait également une technologie permettant de mieux éviter la calotte polaire dans l’ionosphère, des moyens plus avancés de détection des missiles et d’autres améliorations.
Les deux nouveaux complexes étaient nettement plus grands que le premier créé à Nikolaïev. Le radar principal de Tchernobyl se composait de deux antennes de réception : la plus grande de 140 mètres de haut et 900 mètres de long, et la plus petite de 90 mètres de haut et 500 mètres de long. L’antenne de transmission de 300 mètres de long a été construite près de Tchernigov, il y avait donc une distance d’environ 80 km entre les différentes parties du complexe. Le Douga de Tchernobyl n’était pas facile à construire : les antennes de réception nécessitaient des milliers de tonnes de tubes extra-solides, pour lesquels le pays éprouvait un réel déficit. En outre, ces tubes contenaient des radiateurs spéciaux en forme de paniers allongés. Les radiateurs devaient être recouverts de zinc pour les protéger de la rouille.
On estimait qu’il faudrait 20 à 30 minutes à une fusée balistique lancée depuis les États-Unis pour atteindre l’URSS. Les forces de défense antiaérienne avaient besoin d’un système capable de détecter un missile 2 à 3 minutes après son lancement afin qu’il y ait suffisamment de temps pour prendre des mesures et l’abattre. Au milieu des années 1960, le constructeur Vladislav Repine et l’académicien Alexandre Mints ont élaboré un système de radars à trois échelons. Le premier niveau était constitué par les satellites qui suivaient la flamme du missile dans le spectre infrarouge. Le second comprenait les radars transhorizon utilisant les ondes radio pour détecter les flammes et le troisième – des radars au sol qui localisaient la fusée proprement dite quand elle s’approchait suffisamment du territoire du pays. Les trois niveaux ont permis de minimiser les risques de fausses alertes liés aux systèmes, tandis que la responsabilité du personnel en cas de décisions erronées augmentait.
La méthode de Kabanov fonctionnait de la manière suivante : une source envoie une onde radio, elle localise un avion à une distance de 900 à 4 000 kilomètres, s’y reflète et retourne vers une antenne de réception qui analyse le signal et découvre la taille, la vitesse et la direction de l’objet volant. Cette méthode pouvait également servir à suivre les missiles : les ondes radio reflétaient simplement la trace de gaz plasma du projectile.
Cependant, Douga a connu un sort tragique. Le 26 avril 1986, la catastrophe de Tchernobyl s’est produite : le réacteur n°4 de la centrale nucléaire locale a explosé. Douga était situé à seulement dix kilomètres de l’usine, et le rayonnement gamma a mis hors d’usage les équipements. La ville militaire autour de Douga a été évacuée, mais le personnel y est resté dans une caserne souterraine spéciale jusqu’en 1987, date à laquelle tout le matériel a été évacué. Il a survécu indemne à la catastrophe : tout a été conservé dans une zone protégée des radiations nucléaires.
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