Le principe

O.2015-2

« Le principe » de Jérôme Ferrari : Heisenberg, de la science à la bombe

Dans « Le principe » (Actes Sud), Jérôme Ferrari, Prix Goncourt 2012, se penche sur la figure du physicien Werner Heisenberg, inventeur de la mécanique quantique, puis artisan involontaire de la fabrication de la bombe atomique. C’est par la voix d’un jeune philosophe que se profile la destinée du scientifique, et que, du « principe d’incertitude » à l’horreur d’Hiroshima, s’expriment les questions.

« Le principe », 8e roman de Jérôme Ferrari (Prix Goncourt 2012) est une adresse, celle d’un jeune écrivain philosophe à un scientifique, le physicien Werner Heisenberg (1901-1976), découvreur du « principe d’incertitude » à 26 ans, inventeur de la mécanique quantique, puis artisan involontaire de la fabrication de la bombe atomique. C’est par la voix de ce jeune écrivain, donc, que se révèle la vie de ce scientifique exceptionnel, et par elle aussi que s’expriment les questions : du « principe d’incertitude » à l’abomination d’Hiroshima, comment une belle aventure scientifique se cogne aux contingences de l’histoire ? Comment cette quête des sciences pures visant à pénétrer les mystères du monde se heurte au principe de réalité, et aussi comment le langage, la langue, les mots, la poésie, et au-delà la vie, peuvent-ils éclairer mieux qu’une formule mathématique, certaines réalités du monde ?

Qu’est-ce que le « principe d’incertitude » ?

Ce « principe d’incertitude », que le physicien a théorisé dans une équation qu’il a nommée « théorème d’indétermination », quel est-il ? Attention accrochez-vous : « la vitesse et la position d’une particule élémentaire sont liées de telle sorte que toute précision dans la mesure de l’une entraîne une indétermination proportionnelle et parfaitement quantifiable, dans la mesure de l’autre ». Autrement dit, dans une dimension microscopique, quand on mesure la position d’un objet (d’une particule), on ne peut pas mesurer sa vitesse, et inversement. Avec cette théorie, les scientifiques sont obligés d’admettre qu’une partie de la réalité, à une échelle microscopique, échappe aux calculs, reste dans le flou. Ils doivent admettre qu’il est désormais impossible de croire que « toute la réalité du monde se laisserait un jour apprivoiser par des concepts familiers du langage des hommes ».

Une révolution difficile à avaler pour les scientifiques

La découverte d’Heisenberg est une révolution, qui a de bonnes raisons de désespérer les scientifiques. Comme le raconte Jérôme Ferrari dans son roman, les voilà contraints de « renoncer à l’espoir, déraisonnable et magnifique, qui fut la raison d’être d’une quête menée depuis si longtemps, de parvenir un jour à la description objective du fond secret des choses ». Ces scientifiques – Einstein, Schrödinger, de Broglie – n’acceptent pas que cet espoir soit aboli, et qu’il ne puisse « même pas subsister à titre d’idéal », tout simplement parce que « les choses n’ont pas de fond ».

Le temps des désillusions

« Regarder par-dessus l’épaule de Dieu », autrement dit faire cette merveilleuse expérience de percer les mystères du monde, et très vite après, être obligé de constater l’horreur de ce que ses découvertes ont produit (la bombe atomique) : ce dilemme est au centre du roman de Ferrari.

L’écrivain, à travers la voix de son narrateur, tisse le fil d’une existence, imagine les états d’âmes d’Heisenberg, en les formulant sous forme de questions posées à son aîné par le jeune écrivain-philosophe (qui ressemble de loin à Jérôme Ferrari lui-même). Ils ont en commun un certain rapport au monde, où « le vertige de l’horreur ressemble parfois à celui de la beauté ».

Quel rôle Heisenberg a-t-il joué pendant le nazisme ?

Le sens même des découvertes d’Heisenberg résonne avec sa propre vie, guidée elle aussi par le principe d’incertitude : à l’arrivée du nazisme au pouvoir, Heisenberg n’a pas quitté l’Allemagne, et le mystère reste entier sur ses convictions profondes et son rôle dans le retard  des Allemands sur les Américains pour fabriquer la bombe atomique. A-t-il mobilisé toutes ses forces pour y parvenir, ou bien a-t-il volontairement freiné les recherches ? Le mystère reste entier, qui fait de l’existence du scientifique une formidable matière romanesque.

Laurence Houot

https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/roman/le-principe-de-jerome-ferrari-heisenberg-de-la-science-a-la-bombe_3351723.html

 

http://archivesgamma.fr/2021/09/15/la-principe