« Les réserves d’uranium du Gabon ont été exploitées à partir les années 50. Abondante, de bonne qualité, la matière première était extraite, de Boyindzi, à Oklo, de Mikouloungou à Okelobondo. La compagnie des mines d’Uranium de Franceville en a supervisé l’exploitation, en partenariat avec le CEA. Pour bien faire, on déboisa la région, sur des milliers d’hectares, et l’on vendit les troncs aux plus offrants. Le précieux minerai sortit de terre en même temps que les villes qui abritaient les travailleurs et une forme de prospérité gagna des couches entières de population. L’exploitation minière, en ce sens, fut une réussite pour toute la Nation – s’il nous est permis de reprendre à notre compte cette astucieuse formule inventée de l’autre côté de la mer. Ce cercle vertueux s’enraya à la fin des années 90. Le cours de l’uranium s’effondrait, les exploitants s’enfuyaient. Restaient des gisements vides, des résidus actifs et des villes désertes.
Mais tout n’est pas perdu. Par une sorte de loi qui veut que tout problème trouve en lui-même sa solution, il se trouve que le manganèse, extrait en même temps que l’uranium, est engrais prodigieux. Tout comme le blé sert à replanter le blé, ou l’homme à assurer sa propre défaite, il serait donc possible de refaire ce que l’on a défait, de recoudre ce que l’on a décousu et de réparer ce que l’on a cassé. Le projet en l’espèce serait de replacer les formidables stocks de déchets d’uranium qui ont servi à l’électricité et aux guerres des cinquante dernière années, là d’où ils viennent, dans le fertile limon gabonais. Il suffirait de confier à un groupe spécialisé dans la reforestation ‒ comme le groupe Rougier ou la Socfin – le soin d’implanter de grandes “zones vertes” dont les ressources profiteraient à l’ensemble de la société. Ce serait une sorte de retour à l’état de nature, de remise en forme salutaire, et la saleté produite par l’homme serait naturellement recyclée par la formidable terre africaine.
Une première tentative infructueuse de stockage avait été imaginée par le Président, à la toute fin des années 80. Sans doute cet échec est-il à mettre sur le compte de la stabilité politique du pays à cette époque. Pour peu que la région soit prise en main par une forme quelconque de rébellion locale, il ne s’agira alors plus pour nous que de passer un contrat “donnant-donnant” avec ces factions séditieuses (argent sale et armes lourdes contre déchêts nucléaires). Objectivement, il n’y aucune raison que nous échouions à profiter de la manne écologique, là où d’autres ont réussi. Chaque chose doit pouvoir retrouver la place qui lui revient. »
Aram Kebabdjian, Note d’intention pour un projet complémentaire de la Zone bleu