Plusieurs témoignages restituent ainsi la texture sonore propre à ces espaces désertés, post-catastrophiques. On n’entendait aucun oiseau, diront certains. On n’entendait justement qu’un seul oiseau, diront d’autres. Un trop peu ou un trop-plein qui sonnent l’un et l’autre inhabituels.
En retrait de la Route 6, qui longe la côte du Pacifique, la maison de Monsieur Nemoto n’est qu’à quelques kilomètres d’étendues dévastées, mais ici, les maisons sont restées debout, la chaussée n’a pas été endommagée. Reste ce silence. Suspicion. Si j’omettais les raisons pour lesquelles je suis venue ici, je serais probablement renvoyée à la question : que s’est-il donc passé ici ? Que s’est-il donc passé qui laisse ce territoire, ce paysage, à ce point aphones ? Je vois bien les habitations plus ou moins parsemées, les routes et les carrefours, j’aperçois même la voie ferrée en surplomb – mais je n’entends aucun des bruits qui leur sont à chacun associés : bruits de fréquentation ou de circulation, bruits de moteur ou de frein, bruit de train. Mais présence persévérante de ce faisan silencieux, écho disproportionné du pic-vert frappant l’arbre. Oui, bel et bien, « ça sent le silence » et il est « lourd ».
Plusieurs témoignages restituent ainsi la texture sonore propre à ces espaces désertés, post-catastrophiques. On n’entendait aucun oiseau, diront certains. On n’entendait justement qu’un seul oiseau, diront d’autres. Un trop peu ou un trop-plein qui sonnent l’un et l’autre inhabituels. Dans les deux cas, ils marquent une saillance inquiétante qui fait sentir combien quelque chose s’est passé là, difficile à qualifier, mais qui continue de résonner dans l’air. Au cas où on l’aurait oublié, quatre années plus tôt, en mars 2011, un séisme d’une envergure telle qu’il déclenchait un tsunami qui générait lui-même une catastrophe nucléaire avait eu lieu non loin de chez Monsieur Nemoto.
Sophie Houdart, « Les répertoires subtils d’un terrain contaminé », Techniques & Culture 2017/2 (n° 68), pages 88 à 103