Moscou, de notre correspondant
La dramatique situation financière dans laquelle s’enfonce la science russe vient de prendre un tour tragique: mercredi soir, Vladimir Netchaï, directeur de l’institut de recherche nucléaire de Snejinsk (région de Tcheliabinsk, Oural), s’est tiré une balle dans la tête. Ses collègues, qui ont découvert son corps dans le bureau le lendemain matin, ont trouvé un mot où Netchaï écrit: «On ne peut plus vivre comme ça.» Dans une interview peu avant sa mort, il déclarait: «Je suis responsable de l’activité de l’institut, c’est-à-dire de l’élaboration des armes nucléaires, du développement, des aspects sociaux, de tout.» Il était décrit par ses collègues comme un homme affable, plutôt gai, absolument pas dépressif. Mais l’institut était sa vie, et ces derniers mois il était sujet à un «stress permanent», souligne son adjoint Vladimir Nikitine. Dans cet institut de pointe spécialisé dans les armes nucléaires, comme dans des centaines d’autres centres de recherche, les salaires ne sont pas payés depuis mai ou juin et les factures s’accumulent. Netchaï devait affronter chaque jour les regards éperdus, les plaintes, les drames domestiques des quelque trois mille chercheurs et techniciens qui travaillaient à ses côtés. Il n’en pouvait plus, disent ses collègues, lui qui avait été élu par ses pairs en 1988 à la tête de l’institut.
Jean-Pierre Thibaudat, Libération, 2 novembre 1996