De 1951 à 1962, le Nevada a été le théâtre du sublime technologique sous sa forme ultime. La plupart des essais atmosphériques de bombes atomiques étaient menés sur le Nevada Test Site, à mi-chemin entre Garden Valley et Las Vegas. Visible des toits des hôtels-casinos, le spectacle des champignons atomiques constituait alors une attraction touristique majeure. Nye observe que, pour la première fois, le sublime technologique dépassait le simple domaine des applications quotidiennes : « La bombe représentait l’aboutissement de la technologie tout en anéantissant sa propre finalité. Les formes et les limites des réalisations humaines fusionnaient dans l’informe et l’illimité, laissant entrevoir pour la première fois aux Américains l’enfer que le sublime technologique pouvait présager. ». Nombreux étaient ceux qui, portés par le nationalisme, la foi, les intérêts économiques, ou les trois facteurs réunis, restaient aveugles à la morbidité de la situation. En 1952, le gouverneur Charles Russell s’enthousiasmait pour cette métamorphose atomique du désert du Nevada : « L’idée qu’une terre aussi ingrate que celle du centre d’essai fasse avancer la science et contribue à la défense nationale est exaltante. Nous avions depuis longtemps déclaré ce terrain inculte et aujourd’hui, le voici fleuri d’atomes. ». Le 22 avril de cette même année, postés à moins de quinze kilomètres, des centaines de personnalités et de journalistes de tout le pays avaient été autorisés à assister à un tir. La diffusion en direct de ces images dans des millions de foyers américains avait déclenché une véritable frénésie de l’atome.
Serge Paul, « Michael Heizer et les risques du sublime technologique », Marges 14 | 2012
« Au-delà du Land Art », p. 28-46