En 1917, de jeunes ouvrières déposent quelques gouttes de peinture luminescente au radium sur des cadrans de montre. Elles affinent le pinceau en le portant à leur bouche. Lorsqu’elles quittent l’atelier, un halo lumineux les entoure. En 1922, Mollie Maggia n’a quasiment plus de dents. Sa mâchoire, son palais et même une partie de ses oreilles ne sont plus qu’un énorme abcès. Le dentiste retire son os maxillaire en tirant dessus.
En 1917, de jeunes ouvrières sont embauchées à Newark, New Jersey, par l’US Radium Corporation pour leurs qualités alors jugées féminines : la précision, le soin et la dextérité. Munies d’un pinceau extrêmement fin, les jeunes femmes devront peindre sur des cadrans de montre ou d’instruments de mesure aéronautique des chiffres avec de la peinture luminescente au radium. Undark, tel est le nom de la peinture merveilleuse utilisée par les ouvrières de Newark. Elles rivalisent de vitesse pour avoir le meilleur rendement. Elles affinent continuellement le pinceau en le portant à la bouche. Et lorsque quittant l’atelier, elles marchent dans la rue à la nuit tombée, un stupéfiant halo lumineux les entoure : leurs vêtements, leurs cheveux, leur peau luisent. Ce soudain basculement dans le surnaturel les amuse. « Elles semblaient être des anges venus d’un autre monde »
Par jeu, elles peignaient leurs ongles, leurs dents et leur visage avec la peinture fabriquée à l’usine, parfois pour surprendre leur petit ami quand les lumières s’éteignaient. Elles mélangeaient de la colle, de l’eau et du radium en poudre, et ensuite elles se servaient de pinceaux en poils de chameau pour appliquer la peinture luminescente sur les numéros des cadrans. La rémunération alors en vigueur, pour peindre 250 cadrans par jour, était d’environ un cent et demi par cadran. Les pinceaux s’abîmaient au bout de quelques coups, aussi les contremaîtres de l’US Radium encourageaient les ouvrières à épointer les pinceaux avec leurs lèvres, ou à se servir de leur langue pour les effiler.
En 1922, Mollie Maggia, tombe malade et doit quitter l’atelier. Personne ne sait ce qui cloche chez elle. Ses problèmes ont commencé par une rage de dent: son dentiste l’arrache, mais une autre dent commence à la tourmenter et doit être ôtée à son tour. À la place des dents manquantes, Mollie voit apparaître de douloureux ulcères, comme autant de fleurs noires, rouges et jaunes dégoulinant de sang et de pus. Ce sont ensuite ses jambes qui commencent à lui faire mal, elle n’arrive bientôt plus à marcher. Son médecin lui diagnostique des rhumatismes et la renvoie chez elle avec une ordonnance d’aspirine. En mai 1922, Mollie est désespérée. Elle n’a quasiment plus de dents et sa mystérieuse maladie n’a cessé de progresser: toute sa mâchoire inférieure, son palais et même une partie de ses oreilles ne sont plus qu’«un énorme abcès». Mais le pire est à venir. Un jour, lorsque son dentiste tâte délicatement son os maxillaire dans sa bouche, ce dernier se brise entre ses doigts. Le médecin est horrifié. Il retire la maxillaire «sans opération, en mettant simplement ses doigts dans la bouche de Mollie et en tirant vers lui».