Photographe engagé dans l’aéronavale, détaché au SMSR, j’ai photographié les tirs atmosphériques (13) lors des campagnes d’essais du Pacifique en 1970 et 1971 depuis l’atoll de Tureia sur lequel j’étais basé. Il est situé à environ 100 Km au Nord Nord Est de Moruroa.
Photographe engagé dans l’aéronavale, détaché au SMSR, j’ai photographié les tirs atmosphériques (13) lors des campagnes d’essais du Pacifique en 1970 et 1971 depuis l’atoll de Tureia sur lequel j’étais basé. Il est situé à environ 100 Km au Nord Nord Est de Moruroa. Je n’étais pas volontaire, mais ce voyage dans les Tuamotu avait quelque chose d’attrayant. Je suis arrivé la première fois à Tureia le 24 avril 1970 pour en repartir le 17 août 1970 après avoir assisté à huit tirs atmosphériques sous ballon, tous tirés de Mururoa, sauf deux Dragon et Orion tirés de Fangataufa. Je n’ai jamais eu connaissance de contamination de l’atoll de Tureia avant mon arrivée.
Malgré ma situation de photographe de l’aéronavale détaché au S.M.S.R (Service Mixte de Sécurité Radiologique), aucune information particulière ne m’avait été fournie en matière radiologique. Les seules connaissances que j’avais eues, après lectures, consistaient en quelques détails sur les différentes particules et leur rayonnement. Nous n’avions pas de dosimètre individuel, jamais je n’ai subi le moindre examen médical en matière de sprectro gammamétrie ou dosimétrique, que ce soit avant pendant ou après mes séjours. Je n’ai jamais vu sur l’atoll une personne porter, placer un dosimètre d’ambiance ou en parler. La tenue de travail était le maillot de bain plus une paire de lunettes opaque pour se protéger du flash nucléaire au moment des tirs pour ceux qui avait une activité professionnelle. Je suis arrivé la seconde fois à Tureia le 06 mai 1971 pour en repartir le 19 août 1971, après avoir assisté à cinq essais atmosphériques tirés depuis Mururoa. Je n’ai quitté l’atoll qu’une semaine entre deux tirs, lors de mon premier séjour. La vie à Papeete n’était pour moi pas agréable, la solde modeste restreignant les sorties. Je n’ai pas quitté l’atoll de Tureia lors de mon second séjour. J’ai assisté au total à 13 essais atmosphériques pour les deux campagnes d’essais atmosphériques nucléaires français. Lors des tirs, je partais en Boston Whaler à l’autre bout de l’atoll pour installer mon matériel photographique sur une petite dalle de béton préparée à cet effet. J’avais à ma disposition une radio, une paire de lunette de protection au flash nucléaire ainsi qu’une combinaison corail de protection, enfermée dans un sac de plastique soudé qui ne devait être utilisée que sur ordre. J’effectuais donc mon travail en maillot de bain. Le tir Encelade du 12 juin 1971 nous a contaminé. Les vents ont tourné dans la journée, puis en début soirée il s’est mis à pleuvoir, une pluie hautement radioactive. Les sirènes du laboratoire de mesures radiologiques (SMSR) se sont mises à hurler en début de soirée. Il faisait nuit. Je m’y suis précipité en chemisette et short sur ordre du maître MEN et en sa compagnie (je ne suis pas certain de l’orthographe de son nom). Lui aussi était un marin détaché au S.M.S.R. Il était responsable de ce laboratoire dont les pompes atmosphériques (APA) marchaient en continu. Il en changeait régulièrement les filtres de prélèvements (filtres papier qui retenaient les particules et filtres au charbon actif pour les gaz). Ce soir là, les boutons de mesures ont été manipulés pour changer de gradation, rien n’y a fait les sirènes continuaient à hurler. Il a alors décidé de les arrêter. Rapidement les consignes ont été données : « n’en parler à personne »….
Le lendemain, des enfants jouaient à quatre pattes dans le corail, des légionnaires se douchaient et se lavaient les dents à l’eau de pluie résiduelle contaminée, récupérée dans des citernes. Même après le tir Encelade je n’ai vu personne circuler sur l’atoll compteur en main. Seuls changements dans les jours qui ont suivi : des prélèvements de végétaux, coquillages et poissons étaient effectués journellement. Pour nous la vie continuait comme si de rien était. Nous pêchions du poisson et des langoustes sur le récif que nous faisions griller sur la plage avec les restes de noix de coco dont le copra avait été prélevé. La vie a suivi son court, sans consigne particulière, sans information, sans protection. Pour ce tir Encelade personne n’a été prévenu de retombées radioactives, donc personne n’est allé se protéger dans ce qui était pompeusement appelé abri anti atomique. Pas plus la petite population polynésienne d’une quinzaine d’âmes que les militaires (30 environ) et civils (10 environ) résidants sur l’atoll. Lors de tirs suivants, nous avons dû aller une fois dans l’abri, quelques heures. Il valait mieux prévenir que guérir… Nous avions déjà été contaminés en 1970 par les tirs Andromède et Dragon. Mais cela, je ne l’apprendrai que 32 ans plus tard.
http://moruroa.assemblee.pf/medias/pdf/Y%20Cambon%20Tureia%2070_71.pdf
Voir aussi : Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD)