Prométhée

P.1986-1

De Pripyat, ville fantôme vidée de ses habitants, on a retiré la statue de Prométhée qui se situait à l’origine en face du cinéma, pour la placer à l’entrée de la centrale, où elle se dresse toujours. Ses bras levés vers le ciel rendent désormais hommage à l’armée des liquidateurs de la catastrophe de Tchernobyl.

« Alors que s’édifiait, au cours des années 1970, l’immense complexe de Tchernobyl, la ville de Pripyat sortait de terre. Principalement destinée à loger le personnel de la centrale nucléaire toute proche, la ville nouvelle en vint à compter près de cinquante mille habitants. La vie y était plus agréable que dans bien d’autres villes soviétiques. Au fronton de l’un des cinémas de Pripyat, on pouvait lire en grandes lettres le nom de Prométhée.

Devant le cinéma avait été érigée une statue en bronze qui représentait le Titan levant les bras vers le ciel pour s’emparer de la puissance du feu. (…) Soixante ans après la révolution d’Octobre, la propagande pouvait se vanter d’avoir maîtrisé l’atome, source inépuisable de l’énergie du progrès. “Le réacteur nucléaire, c’est comme un samovar”, affirmait le directeur de Tchernobyl avec un optimisme digne d’un personnage de Jules Verne (1).

Durant la nuit du 25 au 26 avril 1986, le réacteur n° 4 explosa. Tel un volcan en éruption, il vomit vers le ciel une flamme de cent soixante-dix mètres de haut. Près de cinquante tonnes de combustible nucléaire s’évaporèrent. Le fameux “nuage de Tchernobyl” commença par brûler la pinède voisine, puis se répandit sur l’Europe de l’Ouest et les pays scandinaves, atteignant même l’Amérique du Nord. On peut raisonnablement supposer, écrit Galia Ackerman, qu’“au moins sept cent mille ‘liquidateurs’, civils et militaires, ont travaillé pendant la première année qui suivit la catastrophe”, engagés dans un combat titanesque. (…)

Tchernobyl est devenu une zone morte à jamais. De Pripyat, ville fantôme vidée de ses habitants, on a retiré la statue de Prométhée pour la placer à l’entrée de la centrale, où elle se dresse toujours. Ses bras levés vers le ciel rendent désormais hommage à l’armée des liquidateurs. »

Le Crépuscule de Prométhée, p. 11-13.

François Flahault

Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

http://archivesgamma.fr/2021/09/27/promethee