Michel Schweizer, qui se décrit modestement comme un « organisateur d’évènement », dirige des expériences scéniques ludiques qui relèvent souvent de l’improvisation. Ce chorégraphe de 58 ans aime s’aventurer dans des endroits inattendus et créer des rencontres insolites, où sont régulièrement convoqués des non-professionnels du spectacle vivant. Primitifs, qu’il créé en 2015 pour le Festival NovArt, est un projet tout aussi hybride que les précédents. Mêlant débat, danse et chant, cette pièce convie des danseurs, mais aussi des architectes, afin de résoudre un problème épineux. Malgré la gravité du propos, le résultat prête à sourire. Le plateau se transforme tour à tour en salle de conférence, atelier créatif et piste de danse, où naissent des situations comiques et où la spontanéité des cinq interprètes y est terriblement touchante. Nous avons rencontré Michel Schweizer pour comprendre les raisons qui l’ont poussées à s’attaquer à la question des déchets nucléaires sous la forme d’un spectacle vivant.
Quelles ont été les différentes étapes de la mise en scène de ce concept ?
Je me suis adressé à trois agences d’architecture qui ont travaillé sur un système qui permettrait de signaler la dangerosité radioactive des déchets à l’emplacement où ils sont enterrés. Toutefois, le spectacle n’est pas une conférence qui relaterait ces comptes-rendus d’architecture. J’ai aussi convoqué des danseurs de 25 à 65 ans, avec qui nous avons passé plusieurs semaines à lire et à se documenter sur le sujet du nucléaire. Puis, dans un second temps, j’ai mis les interprètes en relation avec les architectes. Pendant cinq mois, je n’ai pas souhaité interférer dans leur réflexion. Je suis intervenu dans un troisième temps, pour encadrer les répétitions sur le plateau. Au final, les interprètes se sont totalement appropriés la pièce. Ils ont beaucoup plus travaillé sur le sujet que moi et leur niveau de réflexion sont supérieurs au mien. En réalité, je n’ai fait que réunir les composantes et faire des choix parmi les matériaux qui étaient proposés.
Image : Frédéric Desmesure
Création
15 et 16 octobre 2015
Festival NOVART, Le Cuvier CDC d’Aquitaine, Artigues-près-Bordeaux
À en croire les géologues et les historiens contemporains, la Terre a désormais quitté l’ère géologique de l’Holocène, datant d’il y a près de 10 000 ans pour entrer dans l’Anthropocène, une nouvelle époque au cours de laquelle l’action de l’Homme est devenue la principale force de transformation de l’écosystème terrestre. Trouvant leurs origines dans la révolution industrielle, les traces de notre âge urbain, consumériste, chimique et nucléaire resteraient des milliers voire des millions d’années dans les archives stratigraphiques de la planète. Pour son nouveau projet, Michel Schweizer a initié une démarche visant à mobiliser des forces créatives, danseurs et architectes, afin de réfléchir à la création d’un monument pérenne supportant un signe ou symbole destiné à informer les générations futures de ce legs emblématique d’un irréparable. Finalement, malgré les logiques collectives d’élaboration du savoir, les formes d’intelligence en réseau, l’inlassable incorporation des connaissances, nous demeurons dans l’histoire de notre civilisation à des stades assez primitifs… Primitif est à entendre là comme une absence de dépassement dans nos modes de pensées quand se dispose devant nous l’aberrant spectacle de nos limites concernant la considération du vivant. Ainsi, pour freiner le processus de consommation de la réalité dont la culture est l’un des vecteurs, il convient de trouver des stratégies susceptibles de restaurer une dimension « brute et primitive » à la manifestation du vivant et faire en sorte que l’événement spectaculaire ne puisse pas détourner notre attention de ce qui nous tient dans notre qualité de sujet du monde. Et c’est parce que l’état du réel donne les signes d’une disparition progressive du face à face que cette communauté particulière s’impose à Michel Schweizer par sa capacité vitale à redonner une profondeur bien vivante en contre point de cet édifiant horizon.