Oziorsk, une ville russe située au cœur de l’Oural, dissimule les reliques d’une expérience secrète de grande ampleur. A partir des années 1950 et jusqu’à la fin de la guerre froide, près de 250 000 animaux y ont été exposés à des radiations. Certains ont été bombardés de rayonnements a, b et g, d’autres ont été nourris de particules radioactives. Certaines doses étaient assez élevées pour tuer les bêtes rapidement, d’autres étaient assez faibles pour sembler inoffensives. Une fois les animaux morts – des souris, des rats, des chiens, des cochons et quelques singes –, les scientifiques les disséquaient pour constater les dégâts provoqués par la radioactivité sur leurs tissus. Ils figeaient de fines tranches de poumon, de cœur, de foie, de cerveau et d’autres organes dans des blocs de paraffine, pour ensuite les couper en lamelles et les examiner au microscope. Certains organes étaient conservés dans des bocaux de formol.
Toutefois, à la fin de la guerre froide, ces collections sont tombées dans l’oubli. Aujourd’hui, une nouvelle génération de radiobiologistes s’intéresse de près à ces archives. En février 2007, à la recherche des fameux tissus, Soile Tapio, du Helmholtz Centre Munich, s’est rendue dans la ville d’Oziorsk. Elle participait à un programme de promotion des archives radiobiologiques européennes (ERA–PRO), lancé en 1996 dans le but de numériser les données issues des expériences réalisées en Europe. Il a d’abord fallu attendre plusieurs mois pour que la Russie lui donne l’autorisation de se rendre dans cette ville fermée. Enfin, après un long voyage en avion, trois heures de route et une longue procédure d’habilitation de sécurité, un petit groupe de scientifiques sur le retour a emmené la délégation jusqu’à une maison abandonnée, dont le toit était béant et les fenêtres brisées. Des lames de verre et des carnets de notes étaient éparpillés par terre dans certains bureaux. En revanche, dans d’autres pièces, chauffées, il y avait des étagères en bois pleines de lames et de blocs de cire dans des sacs en plastique. A son apogée, le programme employait plus de 100 personnes, mais lorsqu’il a été interrompu du jour au lendemain, à la fin de la guerre froide, seules quatre ou cinq personnes sont restées pour s’occuper des archives. Les visiteurs ont été impressionnés de voir que ces scientifiques d’un certain âge étaient capables d’associer tous les échantillons – soit 23 000 animaux – aux protocoles détaillés d’expériences uniques. “Ils étaient ravis que quelqu’un s’intéresse enfin à cette collection, raconte Soile Tapio. Ils m’ont répété plusieurs fois qu’ils voulaient qu’elle soit archivée avant leur mort.”
Alison Abbot, « Les aventuriers de l’archive perdue », Courrier international, 4/7/2012, originalement paru dans Nature 485, 9/5/12.